Pour l’espéranto, sans complexe

Publié le dimanche 29 septembre 2002 par admin_sat

Une fois de plus, il se confirme que la foi aveugle dont l’anglais est l’objet conduit à un désastre. Il règne une inconscience absolue de la part de la quasi totalité des élus et des décideurs sur les enjeux qui se cachent derrière le choix d’une langue internationale et les visées des pays qui cherchent à imposer leur propre langue dans ce rôle pour lequel aucune langue nationale ne convient.

En 1999, M. Louis Schweitzer, le PDG de Renault, avait décidé que seul l’anglais serait utilisé dans les relations entre les comités des usines établies dans divers pays, ce qui lui valut aussitôt le "Prix de la Carpette Anglaise" décerné par des associations de défense de la langue française en raison de sa servilité face à la dictature de l’anglais.

En 2001, un communiqué de l’AFP donnait écho à une déclaration de Schweitzer : "La langue a été une difficulté un peu supérieure à ce que nous pensions. Nous avions choisi l’anglais comme langue de l’alliance mais cela s’est avéré un handicap avec un rendement réduit de part et d’autre."

Si, à ce niveau, l’anglais fonctionne si mal (Jacques Chirac a lui-même reconnu ne jamais utiliser l’anglais pour traiter de choses sérieuses et, après l’attentat de New York, voici près d’un an, il s’était publiquement excusé de ne pas s’exprimer en anglais), que dire des innombrables bredouilleurs d’anglais formés à grands frais (aux frais du contribuable et à leurs propres frais) pour un niveau d’élocution encore plus médiocre ?

Même Yasser Arafat, qui ne rate pas une occasion de s’exprimer en anglais, ne s’est pas rendu compte, en 1967, que le texte anglais de la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’Onu couillonnait les Palestiniens en invitant les Israéliens à évacuer DES territoires occupés (donc une partie) alors que le texte français, plus précis, invitait à évacuer LES territoires occupés (donc la totalité). Il en est ainsi dans toutes les négociations dans lesquelles, en fait, très peu de gens peuvent se mesurer à des homologues natifs anglophones.

Les gouvernements et les milieux d’affaires des États-Unis et de Grande-Bretagne sont donc à l’aise pour mettre leurs vis-à-vis dans l’embarras lors de négociations sur les plans mondial ou européen, pour jouer sur la subtilité et brouiller les pistes. On l’a vu lors des négociations sur le GATT, le sommet de Kyoto, etc.. Il ne s’agit donc pas de cas isolés.

Les problèmes que pose la place excessive accordée à l’anglais sont dissimulés Le sujet est tabou. Mais ce tabou, c’est comme le mur de Berlin : c’est un mur de la honte. C’est fait pour être démoli. Des voix commencent donc à s’élever contre cette dérive de la politique de communication linguistique internationale lourde de conséquences économiques, politiques, sociales et culturelles : "Nous laissons l’anglais dominer par fatalisme ou servilité" (Claude Hagège, "Enjeux", mai 2002). Ce qui est intéressant, c’est que les usagers de l’espéranto, qui ont été les premiers à avertir contre ce danger depuis déjà fort longtemps (pratiquement depuis les origines de cette langue qui fonctionne depuis maintenant 115 ans), sont rejoints même par des anglophones, comme Robert Philippson, l’auteur de "Linguistic Imperialism" (Oxford University Press), Alastair Pennycook, auteur de "The Cultural Politics of English as an International Language" (La politique culturelle de l’anglais en tant que langue internationale. Londres : Longman, 1994) et "English and the discourses of Colonialism" (L’anglais et le discours colonialiste. Londres : Routledge, 1998).

Le temps n’est-il pas venu de se poser les (bonnes) questions sur la nécessité d’une "langue pour la communication universelle" (termes utilisés par Jospin qui, en 1998, n’en avait pas moins tenté de discréditer l’espéranto aux yeux du monde lors d’un voyage à Hong Kong) et sur les critères de son choix ? Des ouvrages récents, en français cette fois, permettent une approche plus approfondie de l’étendue du problème : "La mise en place des monopoles du savoir" et "La nouvelle guerre contre l’intelligence" (3 tomes). Ils sont signés par Charles Durand, professeur d’informatique à l’université de Belfort-Montbéliard, qui a vécu près de 25 ans aux États-Unis, au Canada et au Japon.

La proposition de l’espéranto a suscité toutes sortes de réactions allant de l’amusement jusqu’à la haine hystérique en passant par le haussement d’épaule ou l’index pointé vers la tempe, mais il en fut de même pour bons nombre d’idées (le vote des femmes, les congés payés...), d’inventeurs, de pionniers et d’esprits lucides (Galilée, Gutenberg...)
Alors : pas de complexes !